Qu’est-ce que la Loi Sapin II ?
Les lois anticorruption étrangères à portée extraterritoriale telles que le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) et le United Kingdom Bribery Act (UKBA) ont été à l’origine de lourdes sanctions financières pour certaines entreprises françaises[1]. Face à la menace de l’instrumentalisation de ces législations pour mener une guerre économique et afin de répondre aux critiques de l’OCDE s’agissant de la faiblesse de la France en matière de lutte contre la corruption, la France a renforcé son arsenal législatif par l’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi Sapin II.
Cette loi a vocation à porter la législation française aux meilleurs standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption. Mais comment ?
[1] Amende Technip en 2010 : 212 millions d’euros. Amende Total en 2013 : 217 millions d’euros. Amende Alstom en 2014 : 683 millions d’euros.
La création de l’Agence Française Anticorruption (AFA)
En lieu et place du Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) qui était un service interministériel placé auprès du ministère de la Justice, la loi Sapin II a créé une agence anticorruption à compétence nationale placée auprès du Ministère de la Justice et du Budget intervenant auprès des acteurs publics et des acteurs privés.
L’AFA a, d’une part, une mission de conseil et d’assistance pour aider les autorités compétentes et les acteurs à détecter et prévenir les atteintes à la probité[1] et, d’autre part, une mission de contrôle. Elle est, en effet, en charge de contrôler l’efficacité des mesures préventives mises en place pour lutter contre la corruption et contrôler l’efficacité des mesures de suivi judiciaire. L’AFA a également le pouvoir de sanctionner les entités contrôlées qui ne respectent pas les obligations qui leur incombent en vertu de la loi et peut infliger une sanction pécuniaire allant jusqu’à 200 000 euros pour les personnes physiques et un million d’euros pour les personnes morales.
[1] Corruption, trafic d’influence, détournement de fonds publics, concussion, prise illégale d’intérêts.
L’obligation de mettre en œuvre des mesures et procédures pour prévenir et détecter les faits de corruption pour les entreprises assujetties
Il s’agit d’une mesure « phare » de la loi Sapin 2 imposant aux Présidents, Directeurs Généraux et Gérants de sociétés ou appartenant à un groupe de sociétés de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros ayant leur siège social en France, de mettre en place un dispositif anticorruption pour prévenir et détecter la corruption et le trafic d’influence.
L’introduction de la justice transactionnelle avec l’instauration de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP)
La loi Sapin II a introduit, avec la CJIP, une logique de transaction pénale dans la loi française en permettant au Procureur de la République de conclure avec une personne morale mise en cause ou mise en examen pour des faits de corruption, de blanchiment, de fraude fiscale ou infractions connexes, une convention permettant d’éviter le procès pénal.
Cette convention comprend une ou plusieurs des obligations suivantes :
- Un accord par lequel une personne morale accepte de payer une amende d’intérêt public dont le montant est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels.
- Se soumettre pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l’AFA, à un programme de mise en conformité destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre des mesures et procédures destinées à prévenir et détecter la corruption.
Le champ de la justice transactionnelle a été étendu aux délits prévus par le code de l’environnement et les infractions connexes par la loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.
Le renforcement de la répression des faits de corruption
Pour renforcer le volet répressif, la loi Sapin II a également crée une peine complémentaire de mise en conformité pour les délits de corruption et de trafic d’influence[1]. Il s’agit donc de mettre en œuvre un dispositif anticorruption comprenant les 8 mesures et procédures de la loi Sapin 2 sous le contrôle de l’AFA, mettant en place un système de monitoring. La personne morale condamnée supporte les frais générés par ce monitoring de l’AFA. En cas de non-exécution de cette peine de mise en conformité, des sanctions pénales sont encourues pour les organes et représentants de la personne morale condamnée[2].
La loi Sapin II a également créé l’infraction de trafic d’influence d’agent public étranger, pendant de l’infraction de corruption d’agent public étranger créé en 2000.
Enfin et surtout, la loi Sapin II a étendu la compétence des juridictions pénales françaises pour la poursuite des faits de corruption internationale. Celles-ci peuvent en effet poursuivre les français ayant commis des actes de corruption ou de trafic d’influence à l’étranger, sans condition de plainte de(s) éventuelles victime(s) ou de dénonciation officielle par l’Etat où l’infraction a été perpétrée[3]. Les associations de lutte contre la corruption peuvent désormais également initier des poursuites pour corruption d’agent public étranger. De plus, les tribunaux français ont la possibilité de poursuivre les étrangers résidant habituellement en France pour des actes de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger[4].
[1] Article 131-39-2 du Code Pénal.
[2] Article 434-43-1 du Code Pénal.
[3] Article 435-662 et 435-11-2 du Code Pénal.
[4] Article 435-6-2 du Code Pénal.
La protection renforcée des lanceurs d’alerte
La loi Sapin II a créé le statut général du lanceur d’alerte. Cette définition a été modifiée par la loi du 21 mars 2022[1] qui en a retenu une conception plus large.
Il est désormais défini comme la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement.
La loi Sapin II a instauré une protection des lanceurs d’alerte en prévoyant une irresponsabilité pénale en cas de divulgation d’un secret légalement protégé[2] et des garanties contre les dénonciations abusives. La loi du 21 mars 2022 a simplifié les canaux de signalement et introduit des mesures de protection renforcée (notamment l’extension du champ de l’irresponsabilité des lanceurs d’alerte et le renforcement des garanties qui entourent un signalement).
La loi Sapin II a aussi prévu une obligation pour les entreprises d’au moins cinquante salariés, les personnes morales de droit public et les collectivités de mettre en place des procédures de recueil des signalements garantissant l’anonymat des lanceurs d’alerte, des personnes visées mais également des informations recueillies.
[1] Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.
[2] Sont exclus du régime de l’alerte les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret professionnel de l’avocat.
Représentants d’intérêts/lobbying
La loi Sapin II a également encadré l’activité de représentation d’intérêts/lobbying en instaurant une obligation déclarative auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Quel bilan de la loi Sapin II 5 ans après ?
Le rapport d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 »[1] dresse un bilan assez positif de cette loi et formule 50 propositions pour renforcer son efficacité.
Certaines recommandations ont été suivies, notamment par la loi du 21mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte. Les autres axes sont les suivants :
- Clarification de l’organisation institutionnelle de la politique de lutte contre la corruption.
- Développement d’obligations de conformité adaptées aux acteurs publics.
- Favoriser le recours à la CJIP.
- Améliorer la transparence des décisions publiques.
Si la France est résolument engagée dans la lutte contre la corruption, des progrès sont donc encore à réaliser pour prévenir et réprimer ce phénomène occulte.